L’urgence devant le juge des référés en droit des étrangers

Si le code de justice administrative soumet la saisine en référé du juge administratif à la nécessité de l’urgence et à l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le Conseil d’Etat rappelle la présomption d’urgence qui caractérise les contentieux résultant de refus de renouvellement ou de retrait de carte de séjour d’un étranger. Il rappelle que le requérant n’a pas l’obligation de justifier de circonstance particulières caractérisant la nécessité d’une mesure de suspension. La charge de la preuve de l’absence d’urgence repose donc sur l’administration dont la décision est querellée. De plus, le renouvellement d’une carte de séjour ne peut être subordonné à la présentation d’un visa long séjour ou à un contrat de travail à durée indéterminée.

ARRET CONSEIL D’ETAT 1/2 SSR, 29 JUILLET 2002 REQ. N° 243892

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 20 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Serdar X…, ; M. X… demande au Conseil d’Etat : 1°) l’annulation de l’ordonnance du 18 février 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande de suspension de la décision du préfet du Loiret du 8 novembre 2001, confirmée le 30 novembre, lui refusant le renouvellement de sa carte de séjour temporaire ; 2°) la suspension de la décision susmentionnée du 8 novembre 2001 ; 3°) qu’il soit enjoint au préfet du Loiret de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de 8 jours sous astreinte de 76,22 euros par jour de retard ; 4°) la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié réglementant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique : le rapport de Mlle Landais, Auditeur, les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. X…, les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ; qu’il appartient au juge des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision refusant la délivrance d’un titre de séjour, d’apprécier si la condition d’urgence est remplie compte tenu de l’incidence immédiate du refus de titre de séjour sur la situation concrète de l’intéressé ; que cette condition d’urgence sera en principe satisfaite dans le cas d’un refus de renouvellement du titre de séjour, comme d’ailleurs d’un retrait de celui-ci ; que, dans les autres cas, il appartient au requérant de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure provisoire dans l’attente d’une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de la décision litigieuse ;

Considérant que, pour rejeter la demande de M. X… tendant à la suspension de l’exécution de la décision du préfet du Loiret du 8 novembre 2001, le juge des référés du tribunal administratif d’Orléans a opposé au requérant la circonstance qu’il n’établissait pas la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure provisoire ; que, toutefois et ainsi qu’il a été dit plus haut, dans le cas de décisions refusant le renouvellement d’un titre de séjour, la condition d’urgence doit en principe être regardée comme remplie ; que la décision contestée du 8 novembre 2001 refuse à M. X… le renouvellement de sa carte de séjour temporaire ; que, dès lors, le juge des référés ne pouvait, sans erreur de droit, mettre à la charge du requérant le soin de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité d’une mesure de suspension ; que, par suite, son ordonnance doit être annulée ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, que l’urgence à suspendre une décision de refus de renouvellement d’un titre de séjour doit, en principe, être reconnue ; qu’en défense, le ministre ne fait état d’aucune circonstance particulière de nature à faire échec en l’espèce à cette présomption d’urgence ; que, par suite, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie ;

Considérant, par ailleurs, qu’est propre à créer un doute sur la légalité de la décision contestée le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une double erreur de droit en motivant le refus de renouvellement de la carte portant la mention « salarié », d’une part, par le défaut de visa de long séjour alors que ce visa n’est pas exigé par les articles 7 et 8 du décret du 30 juin 1946 susvisé en cas de renouvellement de la carte de séjour temporaire et, d’autre part, par la circonstance que M. X… était seulement titulaire d’un contrat de travail à durée déterminée sans indiquer en quoi cette durée constituait une condition d’emploi susceptible de justifier un refus de titre de travail en application de l’article R. 341-4 du code du travail ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de suspendre l’exécution de la décision du préfet du Loiret du 8 novembre 2001, confirmée le 30 novembre suivant, refusant à M. X… le renouvellement de sa carte de séjour temporaire ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ( …) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ; que la présente décision, si elle impose au préfet de statuer de nouveau sur la demande de renouvellement de titre de séjour présentée par M. X… et, dans l’attente de cette décision, de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour, n’implique pas nécessairement qu’un titre de séjour lui soit accordé ; qu’ainsi, les conclusions à fin d’injonction ne peuvent qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application des dispositions précitées et de condamner l’Etat à verser à M. X… la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L’ordonnance du 18 février 2002 du juge des référés du tribunal administratif d’Orléans est annulée.

Article 2 : L’exécution de la décision du préfet du Loiret du 8 novembre 2001, confirmée le 30 novembre suivant, refusant à M. X… le renouvellement de sa carte temporaire de séjour est suspendue jusqu’à ce que le préfet ait de nouveau statué sur sa demande et, au plus tard, jusqu’à ce qu’il ait été statué au fond sur sa demande d’annulation de cette décision.

Article 3 : L’Etat versera à M. X… la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. X… est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Serdar X… et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.




Reconduite à la frontière et regroupement familial

Le juge administratif peut annuler un arrêté de reconduite à la frontière sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) alors même que l’intéressé pouvait bénéficier du regroupement familial. Toutefois, il ne pourra pas enjoindre à l’administration la délivrance d’un titre de séjour. CE, 25 avril 2001 req. n°227585, Madame Vida A… épouse O…

Arrêt du Conseil d’Etat, Président de la Section du contentieux, 25 avril 2001, req. N° 227585, Madame Vida A. épouse O.

M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement M. Challan-Belval, Président

Vu la requête enregistrée le 29 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Vida A…. épouse O…. demeurant xxxx à Clichy (92110) ; Mme A…. épouse O…. demande au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat : 1°) d’annuler le jugement du 21 septembre 2000 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 1er février 2000 du préfet des Hauts-de-Seine ordonnant sa reconduite à la frontière ; 2°) d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en audience publique : les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant qu’aux termes du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : « Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police, peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ( …) 3° Si l’étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait ( …)  » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme A…. épouse O…., de nationalité ghanéenne, s’est maintenue sur le territoire français plus d’un mois après la notification le 20 décembre 1999 de la décision du 16 décembre 1999 du préfet des Hauts-de-Seine lui refusant un titre de séjour et l’invitant à quitter le territoire ; qu’elle était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d’un étranger à la frontière :

Considérant que si, à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, Mme A…. épouse O…. fait valoir qu’elle a épousé, le 26 juin 1999, M. Francis O…., de nationalité libérienne, qui a un emploi et la prend en charge matériellement, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’intéressée soit dépourvue de toute attache familiale dans son pays d’origine ; qu’ainsi, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et notamment de la possibilité offerte à son époux de demander à son profit le bénéfice de la législation sur le regroupement familial, et eu égard aux effets d’une mesure de reconduite à la frontière, l’arrêté attaqué n’a pas porté au droit de Mme A…. épouse O…. au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cet arrêté a été pris ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision fixant le pays de destination ;

Considérant que par une décision du même jour, le préfet des Hauts-de-Seine a décidé que Mme A…. épouse O…. sera reconduite à destination du pays dont elle a la nationalité ; que l’intéressée, dont la demande d’admission au statut de réfugié a, d’ailleurs, été rejetée par une décision de l’office français de protection des réfugiés et apatrides du 26 mai 1999 confirmée par la commission des recours des réfugiés le 8 octobre 1999, n’apporte aucun élément de nature à établir la réalité des risques que comporterait pour elle son retour dans on pays d’origine ; que le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut, dès lors, être accueilli ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme A…. épouse O…. n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté du 1er février 2000 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a ordonné sa reconduite à lafrontière ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A…. épouse O…. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Vida A…. épouse O…., au préfet des Hauts-de-Seine et au ministre de l’intérieur.