La CJCE gardienne des droits et libertés des téléspectateurs ?

La Cour de justice des communautés européennes (aff. RTL Television GmbH et Niedersächsische Landesmedienanstalt für privaten Rundfunk du 23 octobre 2003) vient de se prononcer à titre préjudiciel sur deux questions pour le moins surprenantes. La première consiste à savoir si l’article 11, paragraphe 3, de la directive 89/552/CEE modifié du Conseil, du 3 octobre 1989, dite « directive Télévision Sans Frontières » ou « Directive TSF » s’applique aux téléfilms conçus dès le départ pour l’insertion d’interruptions publicitaires. La seconde est relative aux critères requis pour que la diffusion de plusieurs films de télévision puisse être considérée comme une série.

Il convient de préciser que cette directive pose le principe d’une période minimale de 20 minutes à repecter entre deux interruptions publicitaires, pour tout programme audiovisuel.

L’article 11, § 3 de la directivie TSF prévoit un régime de protection renforcée pour les œuvres audiovisuelles, telles que les longs métrages et films conçus pour la télévision, à savoir une seule interruption publicitaire par tranche de 45 minutes et une interruption supplémentaire si l’émission a une durée supérieure d’au moins 20 minutes à deux ou plusieurs tranches complètes de 45 minutes.

Il est prévu parallèlement une exception pour les séries, feuilletons, émissions de divertissements et documentaires, qui relèvent de la règle des « 20 minutes ».

RTL était poursuivie par l’autorité de régulation allemande au motif qu’elle n’aurait pas respectée les dispositions de la législation nationale reprenant le droit communautaire.

En vue de contester sa soumission à ces dispositions l’opérateur audiovisuel soutenanit notamment que celles-ci visaient à préserver l’intégrité et la valeur des œuvres artistiques ainsi que l’indépendance rédactionnelle. Cette disposition n’aurait qu’à titre subsidiaire pour objectif de protéger les consommateurs. Mais qu’en tout état de cause, cette protection des poducteurs ou créateurs ne saurait lui être opposer puisque les œuvres en cause faisaient partie de ses productions. RTl invoquait aussi la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme.

En outre, s’agissant de la protection des œuvres produites spécialement pour la télévision et conçues dès le départ en prévoyant des pauses pour l’insertion de spots publicitaires, celles-ci répondent exclusivement à la qualification de feuilletons ou de séries et non de films de télévision, dans le sens de l’article 11 § 3 de la Directive TSF. En effet, une telle extension porterait atteinte de manière injustifiée aux droits fondamentaux des organismes de radiodiffusion télévisuelle.

Mais la Cour a jugé pour droit que « Des films qui ont été produits pour la télévision et qui prévoient, dès leur conception, des pauses pour l’insertion de messages publicitaires relèvent de la notion de « films conçus pour la télévision » visée à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997. » En outre, « les liens devant relier les films pour qu’ils puissent relever de l’exception prévue pour les « séries » à l’article 11, paragraphe 3, de ladite directive doivent porter sur le contenu des films concernés, tels que, par exemple, l’évolution d’un même récit d’une émission à l’autre ou la réapparition d’un ou de plusieurs personnages dans les différentes émissions. »

L’intérêt de cet arrêt est notamment de faire primer le droit des consommateurs que sont les téléspectateur face à une liberté fondamentale (liberté d’expression) garantie par la directive TSF et l’article 10 de la CEDH. Doit-on y voir une consécration du droit des téléspectateur de ne pas être « assailli » de messages publicitaires supérieur au droit à la liberé d’expression des annonceurs et des entreprises audiovisuelles ?

Christian NZALOUSSOU