La couleur « Rouge Congo » s’invite au Conseil d’Etat.

La protection d’une couleur par le droit des marques.

Dans un arrêt du 22 février 1974, le Consei d’Etat a jugé qu’une couleur simple pouvait être protégée par le droit des marques. Selon le Conseil d’Etat, le législateur n’a pas écarté de manière absolue l’emploi d’une couleur unique, à titre de marque, dès lors qu’il s’agit d’une nuance bien déterminée qui a un caractère suffisamment distinctif pour les objets auxquels elle s’applique et que les droits résultant de cette marque ne font pas obstacle a ce que les concurrents actuels ou éventuels du propriétaire de la marque puissent colorer leurs produits selon d’autres nuances. De plus, l’usage de la couleur d’un produit à titre de marque ne saurait constituer une « atteinte à l’ordre public », au sens de la législation sur les marques.

Conseil d’Etat, 22 février 1974, N° 84629, Société Esso-Standard

M. Querenet, Rapporteur M. Gentot, Commissaire du gouvernement M. Odent, Président

ARRET

Requête de la société Esso-standard tendant à l’annulation du jugement du 27 mai 1971 par lequel le tribunal administratif de paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 27 avril 1967 et la décision du 8 septembre 1967 prise sur le recours gracieux de la requérante par lesquelles le ministre charge de la propriété industrielle a rejeté le pot a titre de marque, de la couleur « Rouge Congo » pour désigner tous produits pétroliers, notamment huiles, graisses, essences et supercarburants, ensemble a l’annulation desdites décisions ;

Vu la loi du 31 décembre 1964 modifiée par la loi du 23 juin 1965 ; l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; le code général des impôts ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1964 : « sont considérés comme marques de fabrique, de commerce ou de service, les noms patronymiques, les pseudonymes, les noms géographiques, les dénominations arbitraires ou de fantaisie, la forme caractéristique du produit ou de son conditionnement, les étiquettes, enveloppes, emblèmes, empreintes, timbres, cachets, vignettes, lisières, lisères, combinaisons ou dispositions de couleurs, dessins, reliefs, lettres, chiffres, devises et en général tous signes matériels servant à distinguer les produits, objets ou services d’une entreprise quelconque ».

Que, selon l’article 3 de la loi, tel qu’il a été modifie par la loi du 23 juin 1965 : « ne peuvent être considérés comme une marque ni en faire partie les signes dont l’utilisation serait contraire a l’ordre public ou aux bonnes mœurs… Ne peuvent, en outre, être considérées comme marques : celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit et du service ou qui comportent des indications propres à tromper le public ; celles qui sont composées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service ou la composition du produit » ; qu’en vertu de l’article 8, alinéa 2, de la loi, le rejet du dépôt de la marque « par application des dispositions de l’article 3 ou pour irrégularité matérielle ou défaut de payement des taxes est prononce par le ministre charge de la propriété industrielle ».

Qu’il ressort de l’ensemble de ces dispositions que le législateur, en donnant au ministre le pouvoir d’accepter ou de rejeter un dépôt de marque, ne s’est pas borne à lui confier le soin de contrôler la régularité matérielle du dépôt et la perception des taxes mais l’a nécessairement charge d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir et sous réserve des droits éventuels des tiers, si une marque répond a l’ensemble des conditions posées par les articles 1 et 3 de la loi pour faire valablement l’objet d’un dépôt ;

Considérant que, l’article 12 de la loi du 31 décembre 1964, lequel dispose « la nullité du dépôt ou la déchéance des droits du déposant est prononcée par les tribunaux de grande instance », ne trouve à s’appliquer que dans le cas de marques effectivement enregistrées ; que ses dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle a l’appréciation par l’administration de la validité de la marque au regard des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1964 ;

Considérant que, si l’article 1er de la loi reconnaît expressément le caractère de marques aux « combinaisons ou dispositions de couleurs », l’énumération donnée par cet article des signes susceptibles de constituer une marque n’est pas limitative ; que le législateur n’a pas écarté de manière absolue l’emploi d’une couleur unique, à titre de marque, dès lors qu’il s’agit d’une nuance bien déterminée qui a un caractère suffisamment distinctif pour les objets auxquels elle s’applique et que les droits résultant de cette marque ne font pas obstacle a ce que les concurrents actuels ou éventuels du propriétaire de la marque puissent colorer leurs produits selon d’autres nuances ; que la couleur « Rouge Congo » définie au dépôt litigieux en vue de « désigner tous produits pétroliers, notamment huiles, graisses, essences et supercarburants » répond à cette condition ; que la couleur revendiquée par la société requérante à titre de marque présente, dans ces conditions, un caractère suffisamment distinctif pour bénéficier de la protection instituée par la loi du 31 décembre 1964 ;

Considérant que l’usage de la couleur d’un produit à titre de marque ne saurait constituer une « atteinte à l’ordre public », au sens de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1964 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requérante est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaque, le tribunal administratif a refuse d’annuler les décisions par lesquelles le ministre charge de la propriété industrielle a rejeté le dépôt de la couleur « Rouge Congo » à titre de marque pour désigner tous produits pétroliers ;

Considérant que, dans les circonstances de l’affaire, il y a lieu de mettre les dépens de première instance a la charge de l’Etat ; …

[Annulation ; dépens mis à la charge de l’Etat].